L’encadrement des futures élites du royaume à travers les écoles initiatiques
Au vu de l’importance accordée à la cosmogonie
Kongo dans la gouvernance du royaume, il semble alors inconcevable de
distinguer la politique de la religion. Il s’agira d’étudier dans cette partie
l’importance de ces croyances dans la formation des élites, destinées à diriger
les différents pans de la société.
Ces élites sont notamment formées dans des écoles
initiatiques qui sont au nombre de quatre : on parle alors de l’école Lemba,
Kinkimba, Buelo ou encore de l’école Kimpasi. Lemba et Kimpasi sont
celles qui dominent car ce sont les plus répandues: la première a une influence
très importante dans le nord du Royaume tandis que la seconde domine au Sud.
Les personnes qui sortent de ces académies sont destinées à devenir des
dirigeants: gouvernants, juges ou encore guérisseurs. L’école Lemba sera la
plus intéressante à traiter en ce qu’elle représente l’une des plus anciennes
académies côtoyées par les Kongos et donc celle qui se veut être porteuse de la
tradition. On dira notamment que Lemba avait comme intention précise, de
protéger le savoir du pays, sa civilisation et sa culture face à l’expansion
occidentale.
Que peut-on alors dire de l’initiation à Lemba ?
Premièrement, seul les hommes peuvent y être initiés. Toutefois, ce n’est pas
n’importe quel homme qui peut l’être et dans ce sens, celui souhaitant être initié
doit présenter certaines caractéristiques : il doit notamment être vaillant et
éloquent. La plupart des initiés étaient issus des clans nobles donc il fallait
d’une certaine manière être riche pour accéder à l’apprentissage : néanmoins,
loin d’être un critère prépondérant, l’école se disait ouverte et donc pouvait
accueillir toute personne étant capable de payer ce qui était exigé.
Deuxièmement, pour être admis dans l’académie, il
fallait remplir certaines conditions. Dans un premier temps, il était attendu
du futur initié qu’il ait un bracelet Lemba. Celui-ci pouvait être hérité d’un
prêtre Lemba dans la mesure où lors de son décès, le clan choisissait qui
allait lui succéder. La mort du prêtre cependant n’était pas une obligation
pour hériter du bracelet car, comme vu précédemment, peut entrer à Lemba, la
personne capable de payer ce qu’on lui demande de fournir.
Ensuite, était également admissible celui qui
était malade. En effet, beaucoup étaient conduits à Lemba en raison de leur
faible condition de santé. Il était ainsi espéré qu’en guérissant, celui qui
était autrefois malade, pourrait à l’avenir guérir les personnes souffrant des
mêmes maux. Enfin, pouvait être initié celui qui avait un contact fortuit avec
l’école. Personne à l’exception des candidats et des prêtres ne pouvait
initialement entrer dans l’enceinte de Lemba. Pour autant, lorsque quelqu’un
par mégarde se perdait et s’y retrouvait, il était obligé de payer une amende
car avait commis un acte illégal. A défaut de pouvoir le faire, il devait alors
devenir élève.
Le but de l’initiation est d’apprendre l’endurance, la vigilance, le droit, l’art de guérir et le travail. Ainsi, dans l’enceinte de Lemba on retrouve une croix à laquelle l’initié doit prêter serment. Cette croix a une signification particulière: en effet dans la cosmogonie Kongo, le dirigeant est perçu comme celui qui, pour mieux conduire les hommes doit faire le tour du monde, connaître le fonctionnement exact de celui-ci au risque que le monde le renverse. Ce contournement est symbolisé par un mouvement de rotation continue, semblable au mouvement du soleil dans le ciel et à la conception de la vie que se fait l’autochtone. En outre, la vie de l’Homme est vue comme une continuité : le lever du soleil est le commencement de la vie de tout, tandis que son coucher représente la mort et le commencement (renaissance) de la nouvelle vie à Mpemba (autrement dit le monde des morts, des ancêtres). Les morts ne s’éteignent donc jamais réellement. En prêtant serment, l’initié s’affirme donc comme quelqu’un qui contourne un chemin c’est à dire qu’il n’est nullement étranger dans ce monde car il y était, et il y reviendra.
L’apprentissage est composé de 6 phases. La
première consiste en une bénédiction des prêtres à l’égard du candidat: c’est à
travers cette cérémonie qu’il est jugé digne d’entamer le reste de son
apprentissage. Les autres phases ne viennent que confirmer et apprendre à
celui-ci les vertus pour être digne de gouverner telles que la reconnaissance,
le savoir-faire, le courage etc. A titre d’illustration, la quatrième phase
également appelée tungu est une étape de persévérance et surtout d’endurance,
qualité indispensable pour diriger. Dans ce sens, suivant le rituel Tungu, est
cueillie la feuille de koko, plante située dans la forêt tropicale du bassin du
Congo pour en faire du mfumbwa, plat traditionnel. Ce plat doit être préparé
dans le secret, sans sel, en y mettant une seule anguille. A côté de cela, est
préparé un autre mets, composé de poulet ou d’une autre viande, bien
assaisonnée, mais cette fois-ci à la vue de tous. A l’heure du repas où sont
réunis les candidats et les prêtres, les premiers sont tous surpris du mauvais
goût du mfumbwa car ils ignorent la provenance de la plante. Seuls les prêtres
le savent. Le plat de viande bien cuisiné est alors donné aux prêtres qui sont
les seuls à pouvoir en manger: de façon intentionnelle, le but est de provoquer
l’appétit des candidats qui se mettent à saliver devant le second mets. Il
revient à l’initié de comprendre qu’il faut être endurant car c’est de cette
façon qu’on est conduit vers la victoire.
En conclusion, c’est à l’issue des six phases
d’initiation sous l’accompagnement des prêtres initiateurs et assistants que
l’élève est jugé accompli.
Il semble évident désormais que la politique et la religion ne sont pas uniquement entremêlées dans l’exercice du pouvoir par le fruit du hasard; mais que ce lien entre les deux est pensé et surtout encouragé à travers des écoles initiatiques. Il ne s’agit pas seulement de tenir compte du postulat qui dit que la politique et la cosmogonie sont indissociables dans la gouvernance mais de comprendre que c’est le fruit d’un raisonnement et d’un parti pris dans la vision que les kongos se font du pouvoir royal et des fondements d’un royaume.