Une postérité mêlant douceur et amertume
À l’heure du bilan, la population libérienne ne
regarde pas avec nostalgie les douze années de mandat de Sirleaf. Après deux
mandats, Sirleaf plie bagage en 2017 sans tenter de briguer un troisième
mandat, inconstitutionnel mais que des conseils lui demandent d’essayer.
Premièrement, le problème du train de vie des
élites par rapport à la population hautement critiquée par cette dernière n’a
pas été résorbé. Interrogé par le journal Le Monde en 2017,
Anara Kromah, chauffeur routier, dit que le Libéria est “un pays béni peuplé de
maudits”. En effet, les deux tiers des Libériens doivent survivre avec moins de
deux dollars par jour, l’accès à l’eau, l’électricité et à des systèmes de soin
et d’éducation est très compliqué. Dans ces conditions, le mode de vie aisé des
élites politiques est très mal perçu, et la présidente Johnson Sirleaf ne
semble pas très engagée pour rompre ces inégalités. Dans son action, la
présidente a bien créé la Commission libérienne de la lutte contre la
corruption (LACC) : mais cela n’est qu’un cadre sans toile, puisqu’aucune
volonté politique n’a été mise en œuvre. Des ministres et autres hauts placés
de l’administration corrompus n’ont pas été virés, seulement quelques-uns
l’auront été pour l’exemple. Pour l’exemple uniquement puisque Ellen Johnson
Sirleaf a elle-même joui sans discrétion des privilèges des élites. Loin d’être
frontalement en opposition à ces avantages, elle en fait profiter ses proches
en plaçant deux de ses enfants à des postes hauts-placés, avec pour unique
justification de ces promotions les liens du sang.
La population libérienne a connu une forte crise
économique à la suite de l’épidémie d’Ebola (2014-2015), le niveau
d’acceptation de telles inégalités était de plus en plus bas à mesure que les conditions
de vie se dégradaient. Le pays est ainsi sujet à de plus en plus de
contestations de l’intérieur, le ras-le-bol s’exprime plus librement : de
nombreux diplomates interprètent l’absence d’explosion sociale par le refus
d’Ellen Johnson Sirleaf de tenter de lire la Constitution à son avantage en
essayant de briguer un autre mandat. Ainsi, le peuple a pu avoir l’espoir
qu’une transition par les urnes arriverait dès 2017.
Le mandat d’Ellen Johnson Sirleaf : tout à jeter
?
Le bilan d’Ellen Johnson Sirleaf lors de ses deux
mandats est loin d’être unanimement salué. En dépit de cela, il n’est pas
entièrement rejeté, notamment de la communauté internationale, puisque Sirleaf
se voit attribuer le Prix Nobel de la Paix en 2011 aux côtés de sa compatriote libérienne
Leymah Gbowee et de la Yémenite Tawakkol Karman. En 2011, c’est l’entre-deux
mandats pour la candidate Sirleaf à sa réélection. Ce prix a joué un rôle dans
sa campagne : comment critiquer et battre électoralement une personne qui se
voit décerner la plus haute distinction dans l’engagement pour la paix ?
Comment légitimer des critiques, si la communauté internationale semble voir la
perfection absolue au tableau de la présidente Johnson Sirleaf ?
En effet, l’aura de Johnson Sirleaf à l’étranger
n’a quasiment jamais été remise en question, chacun de ses discours engagés
contre la corruption ou encore contre les violences sexistes et sexuelles et
pour l’unité nationale ont été entendus et salués hors des frontières
libériennes. Seulement, dans son pays, on lui reproche de n’avoir tenu aucune
de ses promesses, ni sur le plan économique et sociale, ni sur le tissage d’une
unité nationale. Pour cela, le prix Nobel a été longuement critiqué par une
partie de la population libérienne, quelle paix salue-t-on si celle-ci n’a été
atteinte ni économiquement ni socialement ?
Aujourd’hui, les maux du Libéria restent nombreux
et le nouveau président Weah (élu en 2017) a eu à trouver le juste équilibre
entre la préservation de l’image présidentielle à l’international et les
réalités intérieures. Toutes les perversions sociales et autres inégalités sont
autant de défis de l’actuelle présidence pour bâtir une unité nationale.
Regarder le Libéria à travers le parcours de Johnson Sirleaf, c’est aperçu de la profondeur des enjeux qui se dressent encore aujourd’hui dans ce pays. Fonder l’idéal moral de liberté dans son nom n’est pas sans conséquence, tant la rigueur que cela appose sur l’action publique est forte. Déjà très exigeante lorsqu’elle n’est qu’une devise, qu’un pays porte son ambition morale dès son nom semble d’autant plus intransigeant qu’elle ne peut s’escamoter. En effet, la population libérienne apparaît déterminée à faire respecter la cohérence entre le nom de leur pays et son quotidien.