Héritages et survivances africaines dans les cultures antillaises et guyanaises

Les cultures antillaises et guyanaises sont le fruit de nombreux métissages d’influences amérindiennes, européennes, africaines et asiatiques. Ces cultures ne peuvent être comprises qu’en terme de créations à la faveur d’une syncrétisation : d’une synthèse de plusieurs traits culturels d’origine différente donnant lieu à des formes culturelles nouvelles.....

Le cas particulier de la Guyane

Le cas particulier de la Guyane

Dans cette histoire culturelle, la Guyane se démarque des Antilles à bien des égards. L’histoire coloniale guyanaise se différencie par une colonisation plus laborieuse, un système de plantation d’une extrême faiblesse et durant toute la période de l’esclavage, la colonie demeure pauvre et sous peuplée. De plus, de par sa superficie et sa géographie, contrairement aux îles sœurs, la Guyane connaît un plus important phénomène de marronnage, qui se caractérise par la fuite des esclaves hors de la propriété des maîtres. Ce phénomène va mener à des survivances africaines privilégiées par des populations considérées comme non créolisées. C’est pourquoi, l’émergence d’une culture guyanaise est à distinguer des cultures antillaises qui ont connu un processus de « créolisation » et ont donné lieu à des populations, en dépit des anciennes migrations d’origines variées, relativement plus homogènes. La Guyane apparaît comme une société « pluto-ethnique », en mosaïque. Le marronnage donne donc lieu, en Guyane, à un autre apport africain, cette fois-ci à la faveur de migrations régionales. Nous pouvons citer les Aluku, également appelés Bonis. A l’origine, il s’agit d’esclaves sur les plantations anglaises, puis hollandaises de l’actuel Suriname. En 1776, après une longue guerre avec l’armée hollandaise, les Aluku ont traversé́ les rives du Maroni en Guyane. Le groupe le plus important de cette société́ aluku serait issu des Ashantis, de la famille des Akan, venus du Ghana et de Côte d’Ivoire. Les communautés marron de Guyane sont principalement les Aluku, les Djuka et les Saramaca. Ils sont appelés plus généralement « Bushinengués » (nègres des forêts) en raison de leur mode de vie : en rébellion, ils avaient décidé de retourner vivre, comme leurs ancêtres, dans la forêt. Ces communautés ont pu bénéficier de par leur rupture avec le système colonial d’une conservation exacerbée des rites africains.

Après avoir passé en revue comment ces morceaux d’Afrique ont pu se retrouver dans le bassin caribéen et en Guyane, nous allons nous attacher à voir comment les cultures africaines, ou du moins ce qu’ils en reste, se manifestent dans les sociétés antillo-guyanaises.

         Des survivances Africaines dans les coutumes et traditions

Les musiques 

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Tout d’abord, la musique aux Antilles et en Guyane, tout comme dans les pays d’Afrique, est omniprésente dans la vie quotidienne, Anca Bertrand a pu dire qu’aux Antilles, « la danse est le langage ». Les musiques et danses antillaises et guyanaises, notamment traditionnelles portent, en leur sein des influences africaines et des similitudes : « l’importance du chant, l’alternance d’un soliste chantant les couplets, et du chœur entonnant le refrain, la prééminence du rythme sur la mélodie, la présence des petits cris de caractère non musical », mais également de la dominance des instruments de percussion accompagnés de bouts de bois heurtés l’un contre l’autre et des battements de mains cadencés. À part le tambour, peu d’instruments sont restés de l’Afrique, pour cause d’absence de moyens matériels et de loisirs. Concernant les danses, les survivances africaines se retrouvent surtout dans leur variété. S’agissant des ressemblances entre les danses antillaises et celles pratiquées en Afrique, pour des raisons techniques et parce que dans ce domaine les emprunts entre traditions africaines et européennes ont été tellement nombreux (dû à des courants d’influences des esclaves, aux maîtres, puis des maîtres aux esclaves), nous allons nous concentrer sur 3 danses traditionnelles, relativement comparables, qui prennent leur origine dans les danses effectuées par les esclaves sur les plantations. Comme il n’est pas aisé de décrire verbalement ces danses et qu’une image vaut mille mots, des vidéos sont mises à votre disposition.

Le Kasékò en Guyane

Kasékò Kasékò, littéralement « casser le corps » est une musique guyanaise.

Kasékò est le nom donné au rythme au tambour guyanais le plus populaire ainsi qu’à la danse qui l’accompagne. Il s’agit d’un rythme autogène c’est à dire qui a été créé sur place par les Afro-Guyanais. L’apport africain est indéniable, mais il s’est transformé en fonction des nouvelles données culturelles dont s’est enrichie la Guyane. Cette musique possède 7 rythmes : le kasékò, le grajé, le kanmougwé, le lérol, le débò, le grajévals, le bélya. Pour jouer le Kasékò, il faut de bons tanbouyen (joueurs de tambour). Il en faut trois et un « bwatyé », ou joueur de « tibwa (ou ti-bwa) », soit un total de quatre personnes. Chaque joueur à une fonction bien précise. Pour un bon Kasékò on utilise trois tambours : ce sont le « tanbou goulé », le « tanbou koupé ou dékoupé » et le « tanbou plonbé ».

Le Gwo ka en Guadeloupe

« Gwo ka » vient de « gros-quart », la contenance usuelle des tonneaux à partir desquels les esclaves confectionnaient leurs instruments.

Il possède 7 rythmes de base qui ont des séquences rythmiques différentes et expriment des sentiments divers : le kaladja, le menndé, le léwoz, le padjanbèl, le woulé, le graj et le toumblak. « Le Gwo ka combine le chant responsorial en créole guadeloupéen, les rythmes joués aux tambours ka et la danse. Dans sa forme traditionnelle, le gwo ka associe ces trois domaines d’expression en valorisant les qualités individuelles d’improvisation. Les participants et le public forment un cercle dans lequel les danseurs et le soliste entrent à tour de rôle, en faisant face aux tambours. Le public frappe des mains et chante le refrain imposé par le soliste. »

 Le gwoka : musique, chants et danses représentatifs de l’identité guadeloupéenne

https://www.youtube.com/watch?v=CtnNzzVpB1c

 Démonstration de danse Gwo ka

https://www.youtube.com/watch?v=KbCVyN2g3I0

Le Bèlè en Martinique

« Le bèlè un genre musical dans lequel un chanteur mène la musique avec une voix qui porte, alors que se développe le dialogue entre les danseurs et le tambouyé (joueur de tambour). Il se structure toujours de la façon suivante : le chanteur donne la voix, suivi des répondè (répondeurs) ; le ti-bwa donne le rythme, et enfin le tambour fait son entrée, suivi des danseurs et danseuses. »

« Dans le bèlè, le tambour à une peau et ses techniques de jeu, l’utilisation du tibwa, la gestuelle, la position du corps dans la danse et le chant de type responsorial sont clairement des héritages africains. En revanche, dire avec certitude de quel peuple vient tel ou tel élément dans le bèlè paraît impossible car le bèlè est aussi né de la rencontre entre différentes ethnies africaines qui se sont retrouvées en esclavage, chacune venant avec son bagage culturel, religieux et musical.

Les recherches sur l’origine du mot bèlè sont tout à fait révélatrices de cette question : par exemple, selon Jacqueline Rosemain, en yoruba, bèlè désigne une grande fête qui marque la fin des récoltes et en baoulé douô bèlè c’est la récolte des ignames. Dominique Cyrille parle des danses belli exécutées au Ghana par les nouveaux initiés et au Congo on danse la boela.

Quelques éléments européens sont aussi présents dans le bèlè, la danse en quadrille par exemple qui est pratiquée dans le nord de l’île. »

Les rythme du bèlè sont le bèlè douss, le bèlè kouwant, le bèlè pitché, le béliya, le gran bèlè et le bouwo.

 Bélé, tambour vivant

https://www.youtube.com/watch?v=XrbAyGRzp3c

 Démonstration de danse Bèlè (Rythme Bélya)

https://www.youtube.com/watch?v=zxmDnkIgZNc

Les danses bushinenguées en Guyane 

A ces 3 danses traditionnelles antillaises et guyanaises exercées par les peuples créoles (le peuple guadeloupéen, le peuple martiniquais et la communauté des guyanais créoles), s’ajoute en Guyane des danses d’origines africaines exercées par les communautés descendantes des Noirs Marrons. Ces afro-descendants ont bénéficié de conditions tout à fait différentes de transmission de valeurs.

En Guyane sont pratiquées des danses bushinenguées : Le songe, l’awasa, le susa, l’apinti, l’agwado, le tutu. Ces expressions culturelles constituent un patrimoine précieusement conservé par les descendants des Aluku / Boni.

 Démonstration de danse bushinenguées 1

https://www.youtube.com/watch?v=JxCtETXMJAM

 Démonstration de danse bushinenguées 2 (Awassa)

https://www.youtube.com/watch?v=KKlXNPgtHjo

 Rickman G-Crew – Je suis un Boni/Aluku (Clip d’un artiste guyanais qui rend hommage à l’histoire et à la culture Boni).

https://www.youtube.com/watch?v=ntJ9jBlvlK8

Le Carnaval

Le carnaval aux Antilles-Guyane a été et demeure l’occasion de renouer avec l’héritage africain, de réactualiser des sentiments et des principes religieux africains.

Au-delà de la musique, à l’instar des « groupe à peaux » guadeloupéens composés exclusivement de tambours, le carnaval à travers ses déguisements manifeste des legs africains à travers les masques lan mô (la mort) s’amusant à effrayer les enfants et les jeunes filles, les diablesses habillées en noir et blanc pour le deuil de Vaval (le Dieu Carnaval), les diables portant des cornes et des miroirs « comme certains masques africains », les costumes d’inspirations africaines.

Plus récemment, à cela s’ajoutent la présence des couleurs panafricaines (vert, jaune, rouge, noir) et des tissus africains, qui résultent d’emprunts conscients.

Les contes antillais et guyanais

La tradition orale antillaise ainsi que la narration de contes sont des coutumes originellement africaines.

En effet, le conte antillais fut l’un des rares modes d’expression ayant permis aux esclaves puis à leurs descendants d’exprimer leurs sentiments et leurs révoltes à l’égard de la société́ coloniale à la faveur de veillées par exemple. Ces contes créoles aux Antilles et en Guyane mettent en scène divers personnages que nous pouvons retrouver d’une histoire à l’autre. Ces derniers sont bien souvent des animaux :

Konpè Lapen (Compère Lapin, son personnage est présumé d’inspiration sénégalaise), Konpè Zamba (Compère Zamba, présumé d’origine bantou), Konpè Zarényé (Compère Araignée) ou encore Konpè Makak (Compère Singe).

Mais pas exclusivement, nous pouvons y trouver des soukounyan (souvent des femmes qui se métamorphosent et s’assouvissent la nuit du sang des humains ou des animaux), des diables, des ti sapoti (petits lutins qui se déplacent en groupe dans les bois) ou des manman dlo (femmes au bord des rivières d’une extraordinaire beauté). Chacun de ces personnages représente « un type psychologique simple à forte valeur symbolique ».

Un rapprochement est fait à plusieurs reprise par les chercheurs entre Bouki la hyène dans les contes africains et Compère Zamba, et Leuk le lièvre (cf : La belle histoire de Leuk-Le-Lièvre par Léopold Sédar Senghor, Abdoulaye Sadji) et Compère lapin. Nous pouvons dans un premier constater qu’il n’y a pas et n’a jamais eu de singe aux Antilles, preuve de l’influence de l’Afrique dans ces contes. Par ailleurs, les contes antillo-guyanais représentent des thématiques, des motifs et des personnages très proche de ceux de traditions africaines, notamment d’Afrique de l’ouest. Il est notamment distingué des réalités caractéristiques que l’on retrouve à l’identique dans des contes du Sénégal ou du Bénin. Pour la forme, le récit des contes est ponctué par des chants et des reprises de mots, des interactions entre le conteur et l’auditoire comme pour les contes du continent. Les contes antillais se narrent en créole, et afin de maintenir l’attention le narrateur les rompt par des « Yékrik » auquel le public répond « Yékrak », plus loin « Yémistikrik » on y répond « Yémistikrark », « Est-ce-que la cour dort ? », « Non, la cour ne dort pas ! », « Si la cour ne dort, c’est Isidor qui dort, dans la cour de Théodore pour deux sous d’or ! ». Autre exemple, le conteur dit « Tim ! Tim ! » Auquel nous répondons « Bwa sèk ! », « Dlo pann ! », «  Koko ! »

L’insertion de parties chantées est présente à la fois aux Antilles-Guyane et en Afrique. Certains des chants qui ponctuent des contes antillais sont souvent incompréhensibles. Ces derniers renvoient, selon certaines recherches, non seulement à une coutume mais peut-être même à des textes issus de langues africaines et qui se sont transformés au cours des siècles au point de devenir maintenant incompréhensibles.

Toutefois, malgré ces similitudes dans la forme et les personnages, le sens profond de ces contes, d’origine françaises ou africaines, ont été transformées par le folklore des Antilles, qui les a adaptées à leur environnement et à « l’idéalisme local ».

L’art vestimentaire 

Aux Antilles et en Guyane, la tenue de cérémonie traditionnelle comporte un fichu (ou mouchoir) en madras. Le madras n’a pas seulement valeur ornementale, il a originellement eu une fonction sociale puisque par la façon dont il était noué, il indiquait le rang et la situation de celle qui le portait : célibataire, fiancée, etc…

Si le madras est un tissu issu de l’héritage indien présent aux Antilles, il est vraisemblable que son langage symbolique soit une notion venue d’Afrique. En effet, il a été relevé chez les Ashanti de la côte de l’Or plus de cinquante noms traditionnels servant à désigner la façon de nouer les fichus.

Les coiffures

Aux Antilles-Guyane, la richesse et les variétés de tresses s’étaient appauvries. En effet, les combinaisons étaient devenues moins nombreuses et moins sophistiquées. Cependant, l’habitude de coiffer les filles de multiples petites nattes ou petits choux, en portant une attention toute particulière au tracé bien net des raies est l’expression d’un goût africain.

Il est intéressant de noter que les fameuses coiffures à tresses fines et dessins compliqués qui fleurissent en ce moment sur la tête de très nombreuses jeunes filles des Antilles ne sont pas des survivances mais des emprunts conscients.

Il se développe, en effet, depuis les années 1930, dans les Amériques Noires, les États-Unis et toutes les Antilles, un mouvement de retour à l’Afrique qui concerne tous les domaines : l’art, la musique, la littérature, la sculpture, la peinture, la décoration et l’art vestimentaire. Ce mouvement, pour une grande part, traduit une recherche authentique de racines.

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