SEMA, le cinéma au profit de la dénonciation

SEMA est un film congolais réalisé par Machérie Ekwa Bahango. Sorti en juin 2019, il est né d’une collaboration avec le Mouvement National des Survivants de viols et de Violences Sexuelles en RDC, une organisation non gouvernementale œuvrant en République démocratique du Congo (RDC) pour sensibiliser aux exactions dans l’Est du pays. Le moyen-métrage est écrit et joué à 90% par des survivant.e.s de viols et de violences sexuelles : il a ainsi vocation à briser le silence et sensibiliser sur les sévices sexuels commis en zone de conflits, et plus largement dans le monde entier. ...

Une oeuvre sur la libération de la parole

L’éveil d’un féminisme?

Parce que le film a été écrit et réalisé par des femmes et qu’il raconte leur vécu, on ne peut rester insensible aux revendications profondément féministes qui s’en dégagent. De la question de l’insertion professionnelle des femmes, de l’inégalité dans la répartition des tâches domestiques, en passant par l’accès à l’éducation des jeunes filles et en nous interrogeant sur le droit à l’IVG, le film brise aussi le silence sur la situation des femmes en RDC.

En effet, la première scène s’ouvre sur une dispute conjugale entre Matumaini et son conjoint puis pose assez rapidement le contexte : nous sommes dans un village de l’Est du Congo, où l’économie est agraire et le travail aux champs est le quotidien des femmes. Avec près de ⅔ de sa population qui réside en zone rurale, l’agriculture est en RDC le secteur où se déploie essentiellement l’activité féminine. 

La paysanne congolaise assure en grande partie les travaux agricoles (récoltes, labourage etc) afin de subvenir aux besoins de sa famille et pour veiller à l’approvisionnement des centres urbains.  Ainsi, le rapport soumis par les autorités congolaises au Comité de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) estimait à plus de 70% le pourcentage de femmes vivant et travaillant dans les zones rurales. Ce rapport constate également une meilleure insertion masculine dans le secteur tertiaire. L’aménagement du travail des femmes semble donc être un enjeu crucial.

De plus, les paysannes combinent plusieurs activités – dû aux traditions et à la perception que la société congolaise se fait des femmes, elles doivent entretenir le foyer et de ce fait, la maternité, l’organisation de la vie familiale ou encore les soins et la surveillance des enfants leur sont principalement relégués. Ces multiples responsabilités rendent la conciliation entre les obligations familiales et professionnelles difficiles. De surcroît, cela n’est pas sans conséquence – notamment sur la scolarisation des jeunes filles. En milieu rural par exemple, des parents peuvent être moins enclins à financer les études de leur fille lorsqu’ils considèrent qu’elle peut être une main d’œuvre supplémentaire, aider aux tâches ménagères alors que le fils est celui qui est à même d’aider et soutenir la famille. De facto, sa formation sera donc privilégiée. L’éducation des jeunes filles est un sujet finement abordé dans le film, notamment à travers le personnage de Mati qui déclare à la huitième minute qu’elle est “fatiguée” d’aller aux champs et qu’elle aimerait apprendre à lire et à écrire comme ses frères tandis que sa mère lui rétorque que l’école “c’est pour les garçons”. Le sort de sa mère, contrainte à aller aux champs et porter des charges lourdes tout en étant enceinte, montre également  les difficultés auxquelles font face les femmes qui travaillent dans le secteur informel – le droit congolais conçu pour encadrer une économie moderne, basée sur le salariat individuel et inscrit dans un processus d’industrialisation et d’urbanisation vient protéger la travailleuse congolaise : limiter son nombre d’heures, poser l’interdiction d’employer des femmes dans des zones dangereuses ou encore protéger les femmes enceintes. Mais quid des femmes qui n’entrent pas dans ces schémas ? Le moyen-métrage tend à montrer de cette manière un aspect problématique du travail féminin au Congo.

Enfin, le film peut soulever la question de l’avortement. À travers l’expérience de Kimia nous pouvons,en effet, nous poser la question de savoir comment élever un enfant né d’un viol et donc lorsqu’il n’a pas été désiré et qu’il nous rappelle nos traumatismes. Le sujet de l’interruption volontaire de grossesse peut sous cet angle être envisagé. Le code pénal congolais prohibe celui-ci, sans aucune exception. Toutefois, la RDC est signataire du Protocole de Maputo, traité régional sur les droits des femmes qui enjoint les Etats de légaliser l’avortement lorsque nécéssaire (à la protection de la santé physique/mentale de la femme, en cas de viol, inceste ou encore anormalité foetale) : celui-ci est entré en vigueur en 2018. L’avortement semble donc a priori possible – encore faut-il qu’il soit accessible et sécurisé. En effet, l’instabilité économique prolongée de la RDC a eu pour conséquence le sous-financement des systèmes sanitaires du pays. Ainsi, en 2010 lorsque la déclaration d’Abuja engageait les nations d’Afrique dès l’année 2015 à consacrer 15% de leur budget national à la santé, la RDC ne parvenait pas à remplir cet objectif : en 2009 par exemple, son budget national était équivalent à celui de son année 2000. De plus, le manque d’infrastructures (notamment en matière de transports) eu égard à la dimension du pays accentue la précarité en matière sanitaire. Pour ces raisons, le Congo figure parmi les pays d’Afrique subsaharienne où les décès maternels sont les plus élevés. En 2015, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estimait que le taux de mortalité maternelle en RDC était de 27% supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (ce qui équivaut à  693 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes).

À la question de “comment aimer un enfant né du viol?” le film s’avère donner une réponse, un chemin, certes semé d’embûches mais qui donne espoir et laisse entrevoir une lumière au bout du tunnel. Le film finit sur le poème de Désanges Kabuo intitulé “Mon enfant fruit du viol”.

“Mon enfant,

Je viens te voir pour te demander pardon,

Pour toutes les mauvaises choses que je t’ai faites alors que tu n’étais qu’un bébé,

Tu étais un être innocent mais j’ai tenté de me suicider parce que ta présence me rappelle trop souvent mon histoire,

J’ai voulu te jeter dans une grande rivière, te tuer

Pour voir si peut-être je pouvais oublier tout ce qui m’était arrivé.

Mon enfant, je te demande pardon,

La communauté dans laquelle j’ai vécu n’a pas accepté ta présence,

Elle s’est permis de t’appeler nyoka ou haramu pendant de longues années pour te dévaloriser mon enfant, 

Je te demande pardon (…) 

Je ne veux pas que tu sois spectateur de ces atrocités, 

Je veux que tu sois la voix des “sans-voix”, 

La voix des personnes démunies,

Des survivants de viols et violences sexuelles et des enfants fruit du viol comme toi.

Mon enfant fruit du viol n’aie pas peur d’être appelé comme ça car c’est ton histoire et qu’elle est connue partout dans le monde.

Les grands décideurs ferment encore les yeux mais toi tu les ouvriras bien grand et avec la plus ferme énergie.

Je remercie les femmes fortes et les hommes forts qui m’ont appris à t’aimer et à dire la vérité sur tout ce qui m’est arrivé.”

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