SEMA, le cinéma au profit de la dénonciation

SEMA est un film congolais réalisé par Machérie Ekwa Bahango. Sorti en juin 2019, il est né d’une collaboration avec le Mouvement National des Survivants de viols et de Violences Sexuelles en RDC, une organisation non gouvernementale œuvrant en République démocratique du Congo (RDC) pour sensibiliser aux exactions dans l’Est du pays. Le moyen-métrage est écrit et joué à 90% par des survivant.e.s de viols et de violences sexuelles : il a ainsi vocation à briser le silence et sensibiliser sur les sévices sexuels commis en zone de conflits, et plus largement dans le monde entier. ...

la dénonciation

SEMA est un film congolais réalisé par Machérie Ekwa Bahango. Sorti en juin 2019, il est né d’une collaboration avec le Mouvement National des Survivant.e.s de viols et de Violences Sexuelles en RDC, une organisation non gouvernementale œuvrant en République démocratique du Congo (RDC) pour sensibiliser aux exactions dans l’Est du pays. Le moyen-métrage est écrit et joué à 90% par des survivant.e.s de viols et de violences sexuelles : il a ainsi vocation à briser le silence et sensibiliser sur les sévices sexuels commis en zone de conflits, et plus largement dans le monde entier. 
Il a remporté le prix du meilleur film international au Best DC Independant Film Festival. Il s’agit du deuxième film de la réalisatrice congolaise, qui avait d’ores et déjà remporté le prix du Golden Screen award en 2018 au Festival Ecran Noir pour Maki’la, film narrant la vie d’un enfant orphelin dans les rues de Kinshasa. Cette fois, dans une production de 45 minutes, elle raconte la vie de deux survivantes face au rejet de leur communauté respectives (Kimia joué par l’actrice Armande Mahabi et Matumaini par Sandra Bonve) ainsi que le quotidien de Mungi, enfant issu de viol. SEMA en Swahili ou Speak out (parle) en anglais, met en exergue une réalité poignante et d’autant plus actuelle. 


L’insécurité croissante dans les provinces orientales du Congo

Le moyen-métrage débute en 2013. Il laisse voir deux personnages – Kimia et Matumaini-, aux vies diamétralement opposées, leur seul point commun étant de vivre dans la région Est du Congo.  Kimia vit et étudie en ville, à Bukavu précisément, tandis que Matumaini réside dans le village de Kombo dans le Sud-Kivu avec son conjoint. L’élément déclencheur dans le récit est leur viol qui survient dès la onzième minute du film. Il a pour objectif de montrer l’insécurité croissante dans les provinces orientales du Congo.

Pour comprendre l’insécurité qui sévit dans les provinces orientales du Congo, il faut comprendre l’histoire de l’actuelle RDC depuis les années 90 et notamment depuis 1993. En effet, à cette époque, l’ancien Zaïre est dirigé par le dictateur Mobutu Sese Seko (1965-1997) qui use de stratagèmes comme la violence, la corruption ou encore les antagonismes tribaux et régionaux pour se maintenir au pouvoir. Cela a de lourdes conséquences pour le pays, qui fait face à un effondrement économique ; des violences ethniques au Nord-Kivu, ou encore diverses violations des droits de l’homme. Cette crise institutionnelle qui durera sur plusieurs années, se soldera par une première guerre de 1996 à 1997 qui chassera l’ancien dictateur du pouvoir politique au profit de son rival, Laurent Désiré Kabila (1997-2001). Pour autant, le pays ne connaît aucun repos car une seconde guerre vient s’inscrire dans la continuité de la première – impliquant cette fois des États comme le Rwanda, l’Ouganda ou encore le Zimbabwe, anciens pays alliés de Kabila dans sa lutte contre Mobutu. L’Est du Congo est le terrain de ces affrontements et demeurera durement marqué. Ainsi, selon le Rapport du Projet Mapping retraçant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC, sur la période s’étendant de 1993 à 2003, le pays aurait principalement connu des actes de violences à l’encontre des femmes, d’enfants et liés à l’exploitation illégale des ressources naturelles. Dans ce sens, l’International Rescue Committee, une organisation non gouvernementale venant en aide aux  personnes victimes de persécutions raciales, religieuses et ethniques, estimait que la seconde guerre avait engendré à elle seule 4 à 5,4 millions de morts. Ce chiffre a néanmoins fait l’objet de contestations, notamment par l’ADRASS (Association pour le Développement de la Recherche Appliquée en Sciences Sociales). Cela témoigne de la difficulté à estimer l’ampleur du conflit quand bien même son caractère meurtrier est communément admis.

En 2003, sous le mandat du président Joseph Kabila – ayant repris le flambeau de son père après son assassinat en 2001- et après une pression internationale, un cessez-le-feu est signé. Une période de transition démocratique débute et la RDC doit refonder ses institutions après le chaos engendré par les deux guerres. La période de transition s’achève en 2006, lorsque Kabila remporte à nouveau les élections présidentielles : une période de stabilité pour le pays, mais qui demeure toutefois inégalement répartie sur le territoire. En effet, la sécurité du pays demeure menacée dans la région de l’Est : les crises survenues à Bukavu, l’Ituri ou encore Gatumba entre 2003 et 2004 ont suffi à l’illustrer. Des groupes rebelles comme l’Armée de libération du Rwanda (ALIR) ou encore les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) déstabilisent la région pour avoir le contrôle sur les ressources naturelles du territoire. Les matières premières comme le coltan – composant des appareils électroniques-  sont particulièrement convoitées, et afin de les exporter illégalement dans les pays voisins, ces milices instaurent un climat de terreur et d’insécurité qui force les habitants à quitter leurs villages. Les violences sexuelles, aussi appelées viols de guerre, représentent l’un des moyens pour ces milices d’asseoir leur autorité.

Ce bref rappel historique sert de contexte à expliquer le viol des deux protagonistes : victimes d’un conflit qui dure depuis une vingtaine d’années, le film raconte le combat qu’elles mènent pour survivre et faire face à un système judiciaire qui peine à punir les auteurs de ces méfaits.

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