LE DIALOGUE DE DEUX MONDES NOIRS OU LES RELATIONS AFRO-ANTILLAISES FRANCOPHONES PENDANT LA PÉRIODE COLONIALE

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by Sosedo Writer  -  19 janvier 2022 13:30
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Les populations noires et afro-descendantes sur le territoire français sont essentiellement issues des communautés antillaises et africaines. Il pourrait être à penser que les premiers contacts de ces communautés se sont établies  en France à partir des années 70 où l’on observe une immigration des populations africaines et l’avènement du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) des années 60 qui arrache les jeunes antillais des caraïbes pour l’hexagone. En effet, des contacts avaient déjà été entretenus entre Antillais et Africains pendant la période coloniale. Ils ont pris la forme de relations entre administrateurs et administrés où les Antillais peuvent bénéficier d’une position sociale que ne détenaient pas les Africains...

Les populations noires et afro-descendantes sur le territoire français sont essentiellement issues des communautés antillaises et africaines. Il pourrait être à penser que les premiers contacts de ces communautés se sont établies  en France à partir des années 70 où l’on observe une immigration des populations africaines et l’avènement du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) des années 60 qui arrache les jeunes antillais des caraïbes pour l’hexagone. En effet, des contacts avaient déjà été entretenus entre Antillais et Africains pendant la période coloniale. Ils ont pris la forme de relations entre administrateurs et administrés où les Antillais peuvent bénéficier d’une position sociale que ne détenaient pas les Africains. Mais ces relations ont aussi été une association entre hommes de couleur visant à promouvoir le droit des peuples colonisés et une certaine conception de l’Homme Noir (ex, le courant culturel de la Négritude). D’une part, la question du rôle des Antillais dans l’administration coloniale et les rapports entretenus avec les populations colonisées. D’autre part, la question de la mobilisation intellectuelle d’étudiants afro-antillais afin de promouvoir les droits naturels notamment ceux proclamés par Wilson puis adopter par la Société des Nations, le principe du droit international selon lequel les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Ils ont promut  l’indépendance des peuples colonisés mais aussi la revalorisation de l’homme noir.

   Au cours de la période coloniale les Antillais ont eu une place importante dans l’administration française en Afrique. En effet, pour comprendre la présence des Antillais dans l’administration coloniale il faut se pencher sur la politique et les liens de l’IIIe République avec ces derniers. La période coloniale en Afrique prend un essor sans précédent à partir de 1885 après la Conférence de Berlin qui ouvre le partage de l’Afrique entre les Européens et permet à la France de compenser la défaite de Sedan (1870) face à la Prusse. Puis, à cette date on assiste à l’affirmation de l’IIIe République en France. Les républicains souhaitent, auprès des Antillais, bâtir une société nouvelle dans laquelle on tente de reléguer au passé l’histoire de l’esclavage des noirs et les rapports de domination maître-esclave, dorénavant ils sont tous considérés comme citoyens de la République.

La présence des Antillais dans l’administration s’explique premièrement par le développement de l’École Républicaine aux Antilles qui permet aux jeunes générations de sortir du monde de la canne à sucre dont les conditions de travail restent déplorables. Ainsi, l’École Républicaine constitue une aubaine dans la mesure où le baccalauréat ouvre une porte vers l’administration coloniale donc une porte vers la sécurité de l’emploi, la possibilité de voyager et d’acquérir du prestige social. Toutefois, cette école encore très sélective ne répond aux attentes que des familles ayant les moyens de financer ces études à leurs enfants. La ville de Paris reste la destination la plus prisée pour y poursuivre des études et passer le concours de l’Ecole coloniale. Les Antillais représentent 20% du corps des administrateurs coloniaux entre 1880 et 1930.  

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René Maran administrateur français d’Outre-mer, aussi auteur de Batouala, prix Goncourt 1921. Dans ce roman, il dénonce certains des aspects de la colonisation.

Au début de la colonisation les Français sont réticents à voyager dans les colonies en raison de leur éloignement géographique, la méconnaissance des lieux, et des pensées qui les assimilent à des territoires dangereux. Ceci explique en partie la forte présence des Antillais dans l’administration coloniale, ils ont déjà amorcé une mobilité sur Paris et qui se poursuit dans les colonies. Une fois sur place, on observe une segmentation entre les Antillais devenus administrateurs et les populations colonisées. Ils n’ont pas le même statut. En effet, il existe une distinction juridique, les Antillais sont des citoyens de la République et sont soumis au Code Civil alors que les populations africaines sont soumises par le Code de l’Indigénat. Même dans l’administration on peut retrouver des Antillais à des postes très élevés, en témoigne le cas de René Maran. Mais les colonisés, eux, restent à des postes subalternes. Une ségrégation juridique opérée par l’IIIe République qui utilise l’image de l’administrateur antillais comme porteur du message civilisateur et des valeurs de la France en Afrique. En témoigne l’idéal méritocratique où l’on justifie l’inégalité des statuts entre Antillais et colonisés parce que les Antillais ont mérité leur position par leurs efforts et que les colonisés sont amenés à faire de même. Les Antillais étaient assimilés à des noirs qui avaient intégré les codes culturels des blancs, cela ne les élevait pas au-dessus des blancs mais les plaçait à une position supérieure aux populations colonisées. D’autant plus que ces derniers sont utilisés comme des fusibles en cas de mécontentement et supposés comprendre davantage les populations locales en raison de leur couleur de peau, noire.

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Alexandre Isaac

Par ailleurs, il est intéressant d’observer la manière dont les Antillais ont contribué à la promotion des droits des populations “indigènes” et dans certains cas à leur indépendance. Au Sénégal, la majorité des agents du service judiciaire étaient des Antillais qui bien souvent avaient épousé des mulâtres (Métisses né d’un Blanc et d’une Noire, ou d’un Noir et d’une Blanche) sénégalaises ce qui avaient développé des relations étroites. Le sénateur de Guadeloupe Alexandre Isaac, homme de couleur, qui dans les années 1890 a pris la direction du Comité de Protection de et Défense des Indigènes et a co-fondé la Ligue des Droits de l’Homme qui a défendu les peuples colonisés. En 1892, Isaac s’est prononcé en faveur des pleins droits politiques des “Algériens musulmans” et pour une représentation des assemblées locales en Algérie en 1893 à travers un projet de loi au Parlement. Puis, il dénonce au Sénat en 1895  les pratiques coloniales au Sénégal à savoir les abus coloniaux, les expropriations, l’esclavage, l’indigénat et la violence de la conquête militaire. Le Martiniquais René Maran, administrateur en Afrique Equatoriale Française, critique en 1921 dans son oeuvre Batouala l’administration coloniale avant d’être acculé à la démission. D’autres ont poursuivi aux côtés des peuples colonisés le combat pour l’indépendance au moment de la décolonisation en témoigne Gabriel Lisette, membre fondateur du Rassemblement Démocratique Africain.

Ces mouvements et ces combats ont permis une mobilisation intellectuelle et la capacité de concevoir une Afrique de plus en plus autonome.

Au cours de la période coloniale, émerge une solidarité culturelle et politique entre Africains et Antillais francophones. Celle-ci a eu une influence sur la naissance des mouvements qui ont mené à l’indépendance des territoires français d’Afrique.

La pensée d’une indépendance des territoires français d’Afrique noire a évolué avec le rôle qu’ont joué des intellectuels et étudiants africains et antillais à Paris. On peut citer Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon Gontran Damas ou encore Birago Diop. Si une indépendance paraissait impensable au début du XXème siècle, cette idée a ensuite fait son bout de chemin. En France, ce sont d’abord des revendications culturelles, pendant l’entre-deux-guerres, et ensuite des revendications politiques, après la guerre, qui vont mener à une prise de conscience vers l’indépendance. Il est intéressant de voir qu’une partie de la pensée intellectuelle et les débats sur l’indépendance des territoires français d’Afrique noire ont pu émerger et prendre forme à Paris – et parfois même à la Sorbonne.

C’est pendant l’entre-deux-guerres que naissent des mouvements intellectuels et politiques sur l’identité de l’Afrique noire française. Les opinions se scindait en deux, entre assimilationnistes et révolutionnaires, mais une idée commune rassemblait ces étudiants et intellectuels africains et antillais : la réhabilitation et la reconnaissance des cultures noires et de la civilisation africaine. C’est donc d’abord la dimension culturelle du monde noir qui est mise en avant. C’est ainsi que naît la Négritude, en 1935, sous la plume d’Aimé Césaire, dans la revue L’Étudiant Noir, le journal de l’Association des étudiants martiniquais de France.

 

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A côté des mouvements politiques et de leurs diverses revendications, la Négritude est un courant qui rejette la politique d’assimilation et tend vers l’affirmation et la défense de l’originalité et des valeurs du monde noir. Après la guerre, les divisions politiques s’exacerbent et semblent éloigner les intellectuels antillais tandis que les étudiants africains sont absorbés par différents mouvements politiques. Par exemple, les Antilles tendent vers la départementalisation mais celle-ci ne concerne pas les Africains, divisés entre maintien dans une Union Française réformée et indépendance. 

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Alioune Diop, Fondateur de Présence Africaine.

Encore une fois, étudiants et intellectuels se retrouvent sur le terrain de la revendication culturelle, et elle va primer sur les revendications politiques. Comme ce fut le cas pour la Négritude, une revue va être le support de ces revendications culturelles. Présence Africaine naît en 1947 par Alioune Diop, intellectuel sénégalais. Alors que l’Europe est meurtrie par la guerre et s’interroge sur ce qu’elle est, son existence et ses valeurs, étudiantes et intellectuelles africains et antillais voulaient trouver ce qui définit leur culture, eux qui étaient déchirés entre assimilation à la France et le maintien de leurs traditions d’origine. La revue, véritable vitrine intellectuelle du monde noir, met en avant des personnalités et les arts, comme la littérature, la musique et la danse du monde noir. Dans cette quête de l’identité, Présence Africaine reprend aussi des recherches précédentes sur l’originalité africaine, comme celles issues de la Négritude. Des intellectuels français vont soutenir la revue comme André Gide, Albert Camus et Jean-Paul Sartre. Ainsi, Présence Africaine est une revue sur le monde noir et s’adresse aux Africains, Antillais, Malgaches et Noirs américains, mais elle est aussi universaliste et s’ouvre en vérité à tous ceux qui souhaitent aider à trouver l’originalité africaine. C’est ainsi que les étudiants et intellectuels africains et antillais à Paris influencent les débats intellectuels sur l’indépendance des territoires français d’Afrique noire. 

Progressivement, la dimension politique prend le pas sur la dimension culturelle. D’abord, agir pour faire reconnaître et défendre la culture du monde noir c’est aussi quelque part remettre en cause la colonisation. Ensuite, pour certains, la réhabilitation de la culture du monde noir est un fait acquis. Le combat se déplace donc sur un autre terrain et de nombreux intellectuels et étudiants ont vu la nécessité de soutenir des revendications politiques, comme les libertés politiques et l’indépendance, car c’est seulement par cette voie que l’Afrique noire francophone pourra affirmer davantage sa spécificité et s’épanouir. Pendant la Première guerre mondiale, le député Blaise Diagne avait déjà revendiqué, mais en vain, les pleins droits politiques pour tous les Africains, pour que ceux-ci aient les mêmes droits que les métropolitains, tout en ayant la possibilité de garder leur statut personnel. Par exemple, pour les indigènes algériens dont le statut personnel était régi par le droit musulman. Pour cela, Blaise Diagne reçut le soutien de quelques députés coloniaux à la Chambre des députés française. Aussi, en 1918, le président du Conseil Georges Clémenceau demande au député de recruter 50 000 tirailleurs pour la Grande Guerre, la France manquant d’hommes. C’est la mission Blaise Diagne. Faisant valoir le recours à la « force noire » et à l’attribution de droits politiques en retour, celui-ci recrute 77 000 tirailleurs. « En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits » plaidait-il dans ses appels pour participer à la guerre, mais la promesse d’un avenir meilleur ne fut pas tenue. Après la Seconde guerre mondiale, Présence Africaine sera un moyen d’expression pour tous les intellectuels et étudiants africains à Paris, quelles que soit leurs aspirations. Ces étudiants et intellectuels de l’après-guerre vont aller plus loin que leurs aînés, ceux de l’entre-deux-guerres, en militant et en s’engageant ouvertement pour réaliser leurs idées et revendications politiques. Dans un monde où existent de nouveaux rapports de force, la « Négritude traditionnelle » sera critiquée, pour celle de la « Négritude de combat », il ne s’agit plus de critiquer les abus de la colonisation mais la colonisation tout court, en elle-même. La mission civilisatrice et la colonisation “humanitaire” sont rejetées. Et c’est ainsi qu’au bout du chemin l’indépendance des territoires français d’Afrique noire sera vue comme la seule solution.

Les relations afro-antillaises francophones pendant la période coloniale ont permis d’ouvrir un rapport de solidarité entre ces communautés dans la promotion des droits des colonisés et dans une France qui les maintenaient sous tutelle coloniale. Cette solidarité s’est prolongée par la mobilisation des intellectuelles afro-antillais qui ont œuvré pour la reconnaissance de l‘identité de l’homme noir mais aussi pour défendre l’indépendance autonomie des peuples colonisés.

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